Léa est étudiante en sociologie et engagée dans de nombreuses causes : LGBT, féminisme… Elle est aussi végétarienne, et se passionne pour le sport et les arts. Aujourd’hui, elle a décidé de parler du jour où elle s’est rasé la tête.
Le 12 mai 2019, je me suis rasé la tête. J’avais cette idée en tête depuis plus d’un an, j’avais binge-watché toutes les vidéos YouTube de meufs se rasant les cheveux, j’étais complètement flippée. C’était la peur qui m’avait retenue aussi longtemps, et la peur qui a retenu mes premiers coups de ciseaux près de ma tête. Je craignais d’être stigmatisée, mais par-dessus tout, de ne plus être belle. De découvrir une laideur, totalement inacceptable pour une fxmme, que je ne pourrais plus cacher ou diminuer.
Seulement, une fois la peur dépassée, je n’ai eu que des émotions positives. Mon long et laborieux rasage a été un moment d’euphorie. C’est simple : je n’avais, je crois, jamais été aussi heureuse de couper mes cheveux. Pour la première fois dans ma vie j’ai eu l’impression de faire un choix qui n’appartenait qu’à moi. Transgressif et libérateur. En quelques heures, j’étais devenue une des meufs qui avaient été inspirantes pour moi. J’incarnais le changement que je rêvais de voir dans la rue. J’avais laissé cet élégant fardeau, ma chevelure, sur le sol de la salle de bain. Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais choisi de garder mes cheveux. Je n’avais jamais choisi de devoir les arranger chaque jour, même au minimum. Je n’avais pas choisi l’importance accordée à ma chevelure en tant que meuf, je n’avais choisi ni sa dimension séductrice ni sa dimension aliénante. Je n’avais fait que répondre à une attente sociale admise, intériorisée, et implicite, stipulant qu’une fxmme se doit d’avoir une belle chevelure, d’en prendre soin et de la modeler selon les tendances. En quelques coups de tondeuse, et avec une bonne dose d’audace, j’ai renoncé à une injonction à la beauté, mais surtout, je me suis attribué et réapproprié un geste utilisé pour humilier ou dominer les fxmmes dans de nombreuses cultures. En effet, le rasage de crâne a souvent été utilisé à travers l’histoire pour signifier l’appartenance d’une fxmme à un homme, ou pour punir une fxmme qui aurait perdu son honneur d’une manière ou d’une autre.
De nos jours, être une meuf qui rase son crâne volontairement c’est renverser une tonne de stigmates. C’est se réapproprier son corps, c’est remodeler les expressions de genre admises. D’ailleurs, à l’inverse de mes craintes initiales je ne me suis pas trouvée laide, ni belle d’ailleurs. Je me suis simplement sentie libérée, et fière de mon choix. D’ailleurs, ma coupe de cheveux a systématiquement suscité des compliments, de l’enthousiasme. En renonçant à mes cheveux, j’ai gagné de l’admiration. Celles et ceux qui m’avaient dissuadée de le faire ont changé d’avis. Mes connaissances et ami.e.s saluaient mon courage.
Vous l’aurez compris, cette expérience est forte de sa signification sociale. Au-delà d’un acte militant, il s’agit surtout d’un dépouillement. Depuis ce jour, mon apparence physique a pris une place secondaire dans mes préoccupations. J’ai commencé a vraiment accepter mon corps tout entier, et j’ai peu à peu cessé de dissocier mon corps et ma personne. Conjoint à d’autres réflexions, cet acte m’a permis de réaliser que mon corps est ma personne. Il est l’unique moyen de mon existence, le vecteur de mes sensations et de mes émotions, le messager de ma culture vers les autres. Notre corps, qu’il soit ou non beau, qu’il soit valide ou non, est l’incarnation de notre personne. Je crois profondément qu’il est important, surtout pour les fxmmes qui sont encouragées à modifier leurs corps, d’apprendre à l’accepter car là est le départ de l’acceptation de soi.
– Léa, le 19 juillet 2020